Nouveaux programmes 2016 : interview de Rémi Brissiaud, Directeur de la collection J'apprends les maths
Vous défendez depuis toujours des positions pédagogiques fortes sur l’appropriation des nombres par décompositions et recompositions. Aujourd’hui, les programmes 2016 confirment vos choix. Qu’en est-il précisément ?
R. B. : J’apprends les maths a toujours privilégié l’usage de stratégies de décomposition recomposition, les programmes 2016 confirment effectivement ce choix : ainsi, le mot « décomposition » est utilisé 8 fois dans le programme cycle 2 alors qu’il n’apparaissait qu’une seule fois dans ceux de 2002 et 2008.
Concernant l’appropriation des nombres, cela implique leur étude progressive et, notamment, de consacrer du temps en CP à revoir les 10 premiers nombres en début d’année, de présenter un nombre comme 8, par exemple, comme 5 + 3, 7 + 1, 4 + 4, etc. Concernant l’addition, cela implique d’enseigner 9 + 8, par exemple, comme 9 + 1 + 7.
Enfin, concernant la soustraction, de concevoir la différence entre 8 et 5, par exemple, comme ce qui manque à 8 pour avoir 5, la décomposition 8 = 5 + 3 permettant de conclure.
En CE1, il est important de revoir les 100 premiers nombres en début d’année. Cela implique encore, comme le programme le recommande, de consacrer ensuite du temps à l’étude des nombres jusqu’à 199 avant d’en aborder de plus grands. Il est en effet crucial que les élèves sachent que 132 = 13 dizaines + 2 unités parce que cette décomposition est d’un usage constant en calcul mental et elle est en jeu dans tous les phénomènes de retenues des opérations posées.
Avec des nombres plus grands, 832 par exemple, la décomposition analogue, 832 = 83 dizaines + 2 unités, est bien plus difficile à comprendre parce qu’on ne se représente plus mentalement les quantités correspondantes.
En CE2, on consacrera du temps à revoir les 1000 premiers nombres tout au long de l’année. C’est ainsi qu’on lit dans le programme qu’« une bonne connaissance des nombres inférieurs à mille et de leurs relations est le fondement de la compréhension des nombres entiers et ce champ numérique est privilégié pour la construction de stratégies de calcul et la résolution des premiers problèmes arithmétiques.»
Il est par exemple crucial que les élèves sachent que 357 = 35 dizaines + 7 unités parce que ce type de décomposition est en jeu dans tous les phénomènes de retenues des opérations en ligne ou posées, dans le calcul de 7 x 51, par exemple.
Par ailleurs, la division par 10, 25, 50 et 100 que nous avions déjà inscrite dans notre progression est confirmée par les nouveaux programmes.
Les programmes 2016 recommandent explicitement d’éviter le comptage-numérotage pour mieux privilégier les décompositions-recompositions.
Comment l’enseignant doit-il s’y prendre ?
R. B. : Il faut d’abord que l’enseignant s’abstienne d’introduire dès le début du CP l’écriture des nombres à deux chiffres dans le contexte d’une file numérotée.
De même au CE, il faut éviter d’enseigner l’addition et la soustraction dans le contexte d’une file numérotée comme c’est le cas lorsqu’on associe ces opérations à un déplacement sur la file : en avançant pour l’addition et en reculant pour la soustraction.
Un premier inconvénient est que cela enferme de nombreux élèves dans un comptage ou un décomptage 1 à 1 : même lorsqu’on les incite à procéder par « bonds » (23 – 6 = 23 – 3 – 3, par exemple), les plus fragiles d’entre eux n’arrivent pas à se défaire de leurs habitudes de comptage numérotage 1 à 1.
Un second inconvénient est que cela éloigne les élèves de la stratégie de calcul d’une soustraction par complément, lorsque pour déterminer 23 – 17, par exemple, on avance ainsi sur la suite des nombres : il faut 3 pour aller de 17 à 20 et encore 3 pour aller à 23, le résultat est donc 6.
Enfin, pour clore ce tableau plutôt sombre, comme le calcul mental et la résolution de problèmes arithmétiques ont partie liée, associer étroitement la soustraction au fait de reculer sur la suite des nombres fait obstacle au progrès en résolution de problèmes.
Dans J’apprends les maths CP, les nombres à deux chiffres ne sont pas initialement présentés dans le contexte d’une file numérotée.
Comment s’y effectue l’étude de ces nombres ?
R. B. : Elle est progressive, comme le programme le recommande. Dès leur première rencontre avec les écritures 11, 12, 13…, 21, 22, 23…, les élèves apprennent que 11 = 10 + 1, 12 = 10 + 2… alors que les files numérotées de la vie quotidienne (calendrier, places de parking numérotées…) ne favorisent pas l’accès à ces décompositions. En fait, la file numérique est introduite sous la forme d’une file structurée de blocs de 10 cases vides, les boites de Picbille. La plupart du temps, cette file est vide mais les élèves savent la remplir grâce aux repères 5, 10, 15, 20…
Ainsi, la présence des numéros est inutile, elle serait même néfaste dans ce contexte car incitant au comptage-numérotage. Avec une file vide mais structurée, les stratégies de décomposition recomposition sont favorisées et une connaissance approfondie des nombres s’ensuit.
Quelles sont les propositions de J’apprends les maths concernant le calcul mental d’une soustraction ?
R. B. : Dans J’apprends les maths, les élèves apprennent d’emblée les différentes stratégies. Pour cela, on utilise un outil pédagogique extrêmement efficace : le masquage. Ils se représentent 32 jetons, par exemple, comme le contenu de trois boites de 10 jetons et encore 2 jetons (chaque boite est structurée en deux compartiments de 5 munis d’un couvercle) :
Pour enlever 26 jetons, la stratégie la plus simple consiste à imaginer qu’on enlève tous ceux des deux premières boites et 6 jetons dans la troisième boite. Il reste alors 4 jetons dans celle-ci et encore les 2 qui sont à l’extérieur, d’où le résultat, 6.
Dans un deuxième temps, au CE2, cette stratégie est mise en oeuvre en utilisant une droite numérique graduée. Celle-ci est un support de représentation très abstrait mais, grâce à l’usage de la file de boîtes de jetons masqués, son usage a été bien préparé et les élèves se l’approprient facilement.