Mon nouveau cahier d’écriture GS-CP : l’interview de Marie-Thérèse Zerbato-Poudou
1. Bonjour Marie-Thérèse Zerbato-Poudou.
Pour commencer, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je travaille sur la question de la maîtrise graphique pour l’apprentissage de l’écriture des enfants de maternelle depuis plus de 30 ans.
Ma thèse, qui portait sur la question de l’enseignement de l’écriture et plus particulièrement, sur la relation entre la trace et le sens, m’a ouvert les portes de la formation d’enseignants, grâce à un poste de maître de conférences en IUFM.
Mon cursus en tant qu’enseignante de maternelle, plus de 27 ans, m’a permis d’être pleinement concernée par l’adaptation des recherches universitaires aux démarches pédagogiques.
Retraitée depuis plus de 10 ans, je continue à m’intéresser à cette problématique, à chercher des solutions aux problèmes rencontrés par les élèves et à publier à ce sujet.
2. Comment est né ce projet de cahier ?
En observant les copies de mots en cursive d’élèves de grande section de maternelle, mais aussi de cp, j’ai remarqué la récurrence de certaines maladresses préjudiciables à la reconnaissance des lettres :
erreurs de ligatures, déformations, introduction d’éléments superflus qui altèrent la nature du mot et parfois même le sens, même si ceux-ci présentent peu de difficulté graphique.
Ce constat m’a conduit à penser que le choix de la forme des lettres est certainement un facteur en grande partie responsable de ces imperfections, en particulier au regard de l’organisation de leurs traits d’attaque et de sortie.
Jusqu’ici, peu de modèles pour l’enseignement de l’écriture cursive ont questionné la pertinence de la structure des lettres pour en faciliter l’apprentissage. Le cahier que je propose tente de résoudre cette question.
3. On note le terme « nouveau » dans le titre de ce cahier.
En quoi est-il nouveau ?
Il est nouveau à plus d’un titre :
- Premièrement, je propose que l’enseignant attire l’attention des élèves sur la forme des lettres, non pas en se contentant de les tracer au tableau ou sur une feuille comme modèle, mais en les comparant aux lettres scriptes qui leur correspondent.
Cette façon de faire met en évidence l’architecture de la lettre cursive qui conserve une partie de la forme scripte. Dans le cahier, les élèves auront à ajouter aux lettres scriptes les éléments nécessaires pour obtenir une lettre cursive.
Ce faisant, on peut espérer qu’ils évitent les déformations dues à un manque d’analyse de la forme des lettres.
J’ai procédé à ce type d’exercice avec des élèves de grande section et, non seulement ils découvraient la pertinence des traits d’attaque et de sortie, mais également, ils abordaient avec plaisir les correspondances entre ces deux graphies.
- Deuxièmement, le choix a été de positionner les traits d’attaque et de sortie des lettres au même niveau, c’est-à-dire, à mi-hauteur de l’interligne.
La plupart du temps, les lettres proposées à la copie ont des traits d’attaque diversifiés, sans explication logique, soit ils partent du trait de base, soit à moitié de l’interligne, soit vers le haut … c’est ce qui explique bien souvent les liaisons défectueuses
- Troisièmement, pour aider les élèves dans leur apprentissage du rythme grapho-moteur de l’écriture cursive, les levés de main, obligatoires avant les lettres rondes, sont symbolisés par un tiret vertical, symbolisation qui disparaîtra lorsque l’apprentissage sera avancé et que l’élève aura automatisé ses gestes. Ce découpage est proposé dans le souci d’une éducation motrice, il n’est en rien comparable aux découpages par syllabes, ces derniers étant centrés sur la relation graphie-phonie plus que sur le respect des césures de l’écriture cursive.
Il faut donc lever la main avant les lettres rondes, a, c, d, g, o, q, qui n’ont pas de trait d’attaque car, tracées d’un mouvement antihoraire, le point de départ se situe en haut à droite de la forme.
Un autre tiret, plus discret, marque le freinage moteur devant le lettre « e ». En effet, l’amorce de la lettre, de conception spiralaire, se fait directement par le tracé de la boucle à mi-hauteur de l’interligne, sans trait d’attaque.
- Quatrièmement, l’apport de repères visuels : le début et fin de lettre ou mots, sont signalés par des points de couleur et les lignages du cahier sont de couleurs différentes, symbolisation empruntée aux rééducateurs (en motricité, écriture, dysgraphie, dyspraxie).
- Pour finir, la couverture du cahier offre deux espaces « ardoise blanche » pour s’entraîner à volonté !
4. Quels sont pour vous les principaux bénéfices de l’utilisation de cette démarche pour les élèves ?
En premier lieu, ils vont avoir une solution pour réaliser, sans trop de difficulté, les liaisons entre les lettres puisque toutes partent du même niveau, ce qui évite les « bricolages » graphiques qui altèrent le mot, comme je l’ai constaté.
Fini par exemple de se questionner pour faire le lien entre le « b », le « v » et les lettres suivantes …
Par ailleurs, le fait de découvrir le lien graphique entre la scripte et la cursive, non seulement les passionne et consolide la reconnaissance des deux graphies, mais surtout leur permet de comprendre « à quoi servent les petits traits avant et après les lettres », comme l’a fait remarquer un élève de CE1, mais aussi à recevoir des modèles de lettre stables et fonctionnels. Ces processus de comparaison, d’analyse, de description, ne peuvent que leur être bénéfiques. L’entraînement gestuel viendra ensuite.
5. Un petit conseil à donner à celles et ceux qui souhaitent se lancer ?
D’abord, il faut accepter de prendre du recul par rapport à ses habitudes graphiques et accepter parfois leur remise en cause.
Ensuite, il faut impérativement que l’enseignant prenne le temps de faire observer aux élèves les différences et ressemblances entre la lettre scripte et la cursive, de montrer comment peut se faire la transformation en ajoutant les éléments nécessaires, en sollicitant l’activité des élèves, ce qui peut se faire en grand groupe.
Avec ce cahier, l’enseignant accompagne les enfants dans leur apprentissage, il ne se contente pas de donner un modèle. La majeure partie du travail d’enseignant se déroule ainsi, dans les interactions, dans un va-et-vient entre les actions concrètes, les observations, les verbalisations, les régulations, les découvertes… travail invisible mais fondamental.
6. Certains enseignants semblent surpris par ce cahier car ils pensaient que vous étiez défavorable à l’exercice du « repasser sur ». Qu’en est-il ?
J’ai toujours critiqué le fait qu’il était illusoire de penser que l’élève apprendrait à tracer une forme, une lettre, en suivant les lignes ou lettres avec un crayon. Mais cela en petite section .
Et, j’ai toujours dit, qu’en grande section c’est un excellent exercice pour discipliner le geste, l’affiner, maîtriser la continuité gestuelle comme les ruptures convenablement anticipées pour écrire « en attaché».
Il faut être clair quant à l’objectif du « repasser sur ». Dans mon cahier, cette activité est limitée (il n’y a pas de répétitions à l’identique) et concerne principalement la perception sensorielle du rythme grapho-moteur, la prise de conscience entre le geste et la trace.
Il ne s’agit pas d’un conditionnement.
Voici un extrait d’un texte publié dans le livret de graphisme que j’ai produit avec Maryse Buffière Delair : « Outils graphiques. Éponges et tissus », p.44, collection : C’est à voir.
« En effet, on sait que l’action de repasser sur une ligne, sans morceler son geste, est difficilement accessible aux élèves les plus jeunes, ceux-ci n’ayant pas encore une maîtrise gestuelle accomplie, ni des coordinations motrices et visuo-motrices suffisamment développées.
Par ailleurs, ils ont du mal à anticiper une trajectoire imposée pour suivre un tracé complexe. Face à cette tâche ils avancent par gestes saccadés sur la ligne support en griffonnant des petits tirets. »
Cet extrait va dans le sens retenu par certains enseignants. Mais voici la suite du texte :
« Par contre c’est un excellent exercice pour les élèves de grande section qui ont à exercer une maîtrise gestuelle de plus en plus précise pour aborder l’écriture cursive. »
Pour compléter il est bon de rappeler que les élèves de grande section doivent nécessairement apprendre à maîtriser la technique « repasser sur » car elle sera requise pour l’écriture en cursive :
il suffit de penser aux mouvements à effectuer pour les lettres d, m, n, p, q, t, u, car, malgré les écarts qu’on s’autorise, on devrait tracer les lettres sans avoir à lever la main, donc revenir sur la trace avec précision ! (sauf devant les lettres rondes, mais pas à l’intérieur des lettres).